lundi 28 janvier 2013

Les épicondylites et autres douleurs du coude

Dans la vie professionnelle, les épicondylites font partie des troubles musculo-squelettiques (TMS). Ces TMS sont considérés par l'Assurance Maladie comme un véritable problème de santé publique et pris en charge au titre des maladie  professionnelle N° 57B. Dans la pratique sportive, les TMS du coude touchent préférentiellement les sportifs de raquette et de golf.



I/ QUELQUES MISES AU POINT
1- au terme de tendinite il faut préférer celui de tendinopathie, de l'enthèse (insertion osseuse) jusqu'à la jonction tendino-musculaire et à celui d'épicondylite latérale ou médiale devenu trop limitatif, il faut préférer le terme d'épicondylalgies du fait de la quadruple participation étiologique potentielle.
2- longtemps, une douleur chronique du coude latérale ou médiale d'origine microtraumatique se résumait à une atteinte d'un tendon le plus souvent épicondylien latéral et à un seul signe clinique, une douleur à la palpation.
3- actuellement on ne peux parler de tendinopathie qu'en présence de la triade clinique classique:
- douleur provoquée à la contraction isométrique résistée
- douleur à l'étirement
- douleur à la palpation du tendon lésé.
4- des études anatomiques sur cadavre ont permis d'individualiser que l'insertion tendineuse des muscles épicondyliens latéraux se fait en feuillet de livre avec une lame aponévrotique superficielle englobant le tendon commun au 2ème radial et à l'extenseur commun des doigts et une lame profonde épaisse englobant en particulier le chef superficiel du court supinateur, ce qui  justifie quand une indication chirurgicale est posée de recourir à une double aponévrotomie, le chirurgien se guidant  la fois sur le testing tendineux clinique et sur les examens complémentaires.

       

5-triade clinique symptomatique d'une épicondylite du coude:
1- Douleur à la palpation du tendon épicondylien latéral ou médial lésé.
2 - Douleur à la manoeuvre spécifique de contraction isométrique contre résistance du tendon lésé  (résistance à l'extension du poignet pour le 2è Radial et à l'extension des doigts pour l'Extenseur Commun : très précisément sur P1 des 3ème et 4ème doigts qui n'ont pas d'extenseur propre etc) .
3- Douleur à la manoeuvre spécifique d'étirement du tendon lésé (manoeuvre de Mills pour l'épicondylite latérale).
6- les 4 Stades fonctionnels de Blazina d'une tendinopathie:
- Stade 1: douleur du tendon hyper-sollicité ressentie après l'effort et cédant complètement.
- Stade 2: douleur en début d'effort puis qui disparaît et peut réapparaître à la fatigue si l'effort se prolonge dans le temps.
- Stade 3: douleur permanente (et donc d'allure pseudo inflammatoire) qui constitue une atypie clinique.
Stade 4 : rupture du tendon avec impotence totale et signes cliniques spécifiques de perte de continuité tendineuse.

       
                                                             Stade 4 de BLAZINA à l'IRM

II/ EPIDÉMIOLOGIE
Les populations exposées sont celles qui ont une gestuelle répétitive du poignet et de la main liée à: 
1une pratique sportive: population  jeune; sports de raquette (tennis++), golf; lésion unilatérale sur le bras dominant; responsablité du matériel (technopathie); sur le plan étiologique la tendinopathie est prédominante; sur le plan anatomique elle prédomine sur le feuillet superficiel et sur le plan histologique elle est d'origine dégénérative (contrairement aux lésions de la coiffe des rotateurs de l'épaule qui sont plutôt de nature inflammatoire).
Préférer sur le plan thérapeutique, les antalgiques aux AINS, mais les infiltrations de dérivés cortisonés restent efficaces au moins dans les stades précoces 1 et 2 de Blazina.


2- une pratique professionnelle dont les mécanismes lésionnels sont les mouvements de préhension-extension-flexion et de pro-supination (Tableau No 57 B des maladies professionnelles) et à une pratique ménagère et de loisirs comme le jardinage et le bricolage.
Ce sont les cas les plus nombreux; la population est plus âgée; les lésions sont souvent sur les 2 feuillets aponévrotiques; elles sont bilatérales; la participation de l'articulation huméro-radiale est constante; les atypies cliniques sont nombreuses.


           Epicondylite professionnelle Tableau 57B des Maladies Professionnelles

III/ PHYSIOPATHOLOGIE
1-  L' épicondyle latéral est une apophyse de traction qui subit à l'effort des contraintes importantes de la part des insertions des muscles épicondyliens par un tendon commun composé de 2 lames aponévrotiques, une superficielle et une profonde.
La contrainte mécanique apophysaire se complète par une contrainte associée des articulations adjacentes huméro- radiale et radio- ulnaire supérieure et une compression dynamique lors de la pro-supination du nerf interosseux postérieur dans le tunnel radial ou au niveau de l'arcade superficielle du muscle court supinateur souvent épaissie (arcade de Fhröse).

          


2- Les épicondylalgies médiales sont 10 fois moins nombreuses que les latérales, les contraintes musculo-tendineuses des épitrochléens étant bio-mécaniquement mieux réparties (à la fois sur l'apophyse mais aussi sur le cubitus).
La proximité anatomique du nerf Ulnaire dans la gouttière épitrochléo-olécranienne et contre l'arcade du muscle Cubital Antérieur rend compte toutefois de l'implication fréquente de ce nerf dans les atteintes lésionnelles médiales.

                

IV/ ORIGINALITÉ
Elle tient à la simplicité du diagnostic et de traitement, en particulier chez les sportifs: 80% de guérison dans un temps inférieur à 4 mois ( Génety 1975 et GEEC 2002).
Par contre, dans la population tout venant (plus âgée), le diagnostic et le traitement s'avère plus difficile du fait de pathologies potentiellement intriquées (vertébrale cervicale, huméro-radiale et syndrome canalaire).
L'existence de diagnostics différentiels :
- post entorse des ligaments latéraux du coude
- syndrome du défilé thoraco-brachial
- ostéome ostéoïde du col du radius
- syndrome des loges de l'avant bras
- autres syndromes canalaires du Médian (nerf interosseux antérieur); du nerf Musculo Cutané et du nerf Brachial Cutané interne.
- ostéodystrophies de croissance du coude de l'enfant (maladie de Panner) et de l'adolescent  sportif (ostéochondrite disséquante) des jeunes lanceurs de javelot, des jeunes gymnastes.
- pathologie inflammatoire ou arthrosique articulaire du coude à démembrer par la clinique et des examens complémentaires simples.
V/ LES EPICONDYLALGIES D'ORIGINE VERTEBRALE CERVICALE
Rappel anatomique
Le membre supérieur est entièrement innervé par les branches du plexus brachial issues des branches antérieures des nerfs rachidiens de C5 à T1:
1- les branches postérieures du Nerf Rachidien sont à l'origine :
- de contractures para-vertébrales d'origine inter-segmentaire  C5 à T1
- d'un trouble du mouvement intervertébral localisé accessible à l'examen clinique du rachis cervical
- de la cellulalgie inter-scapulaire à rechercher par le palpé roulé en dedans des omoplates.
2 - les branches antérieures du Nerf rachidien sont à l'origine:
- des névralgies cervico-brachiales C5 à T1
- ou de leur forme atténuée la cervicobrachialgie avec Lasègue cervical
- ou très souvent de la forme projetée le syndrome cellulo-téno-périosto-myalgique de Maigne (SCTPM) sur un même métamère (douleur référée).
Expression des SCTPM au niveau du coude
Le SCTPM s'exprime par une tendinalgie et une cellulalgie de localisation différente suivant la racine impliquée:
- racine  C5: tendinalgie bicipitale et cellulalgie sus épicondylienne latérale
- racine C6: épicondylalgie latérale et cellulalgie latérale sous épicondylienne latérale
-  racine C7: cellulalgie et tendinalgie de l'olécrâne
- racine C8 et T1: épicondylalgie et cellulalgie médiale sous et sus épitrochléenne
Autres syndromes s'exprimant au niveau du coude
1- Les syndromes lésionnels des 3 troncs primaires du plexus brachial
 ( macrotraumatiques: accident de moto très souvent).
2- Le syndrome thoraco-brachial ou du défilé des scalènes avec intrication de signes vasculaires.
3- Les syndromes canalaires potentiellement intriqués dans les épicondylalgies:
 - essentiellement du nerf interosseux postérieur (NIP) du radial
- du nerf ulnaire (cubital ): douleur du bord interne de l'avant bras et signe de Froment de la pince pouce - index
-  plus accessoirement du nerf interosseux antérieur (NIA) du médian des 3 muscles sous épitrochléens. Le NIA étant un nerf moteur pur avec signe de la pince carrée pouce - index en cas d'atteinte lésionnelle.
VI/ EVALUATION CLINIQUE
L'interrogatoire est d'une importance capitale pour rechercher :
- les stades de Blazina
- les atypies cliniques : 
1- en particulier le Blazina 3 et sa douleur permanente pseudo inflammatoire.
2- les signes articulaires (souris articulaire, craquements, pseudos blocages fugaces ) en général plus aigus, sans irradiation, majorés par les mouvements du coude. 
3- les signes canalaires : maladresse et faiblesse du geste, douleur nocturne, douleur irradiée vers le haut et surtout sur le bord externe de l'avant bras avec hypoesthésie du dos du carpe très précoce (le NIP n'est pas uniquement un nerf moteur et il ne pas faut pas attendre les signes de déficit moteur qui sont tardifs).
L'examen 
après le temps de
- l'inspection
- de l'étude de la mobilité et de la stabilité du coude,
- il est indispensable de pratiquer un testing analytique isométrique des différents tendons contre résistance et d'élargir le testing en cas de syndrome canalaire aux autres muscles non épicondyliens innervés soit par le NIP, soit par le nerf Ulnaire, voire par le NIA du Médian.

               
                             Testing isométrique contre résistance du Rond Pronateur

-Terminer par la palpation et la percussion soigneuse des différentes structures anatomiques du coude.
Enfin, un examen du rachis cervical qui peut être même inaugural tellement l'étiologie vertébrale est quasiment constamment présente avec recherche d'un signe de Lasègue cervical, de cellulalgies et de tendinalgies métamériques.
VII/ EN CONCLUSION : 6 IDÉES FORTES À RETENIR
1- une douleur projetée dans le coude d'origine vertébrale cervicale le plus souvent C5/C6 (syndrome cellulo-téno-périosto-myalgique de Robert Maigne: SCTPM) ou un dérangement fonctionnel huméro-radial ou radio-ulnaire proximal peut précéder de plusieurs mois ou années l'épicondylalgie, en faire le lit et pérenniser la pathologie, en particulier dans les formes professionnelles.
2- une épicondylalgie latérale ou médiale du coude est une urgence médico-chirurgicale: médicale à ses débuts et pour ne pas perdre de temps, strictement du ressort d'un médecin capable de bien maîtriser le traitement des étiologies potentielles (en particulier manipulations vertébrales cervicales très efficace avec respect des règles de sécurité bien codifiées par Maigne et Vautravers; infiltration de l'enthèse et ou articulaire du coude; traitement par acide hyaluronique, toxine botulinique ou par injection de PRP) après bilan initial simple par radiographies et échographie.
3- l'évolution doit être rapidement favorable dans des délais inférieurs à 2-3 mois.
4- toute atypie clinique ou toute résistance à un traitement médical bien conduit doit vite conduire à un avis, puis à un geste chirurgical spécialisé, après bilan complémentaire du seul choix du chirurgien ( IRM, EMG, etc ) guidé par la clinique.
La double aponévrotomie chirurgicale, souvent justifiée, lève la traction sur l'apophyse et décomprime en parallèle l'articulation huméro- radiale et le tunnel radial et cela peut s'avérer suffisant s'il n'y a pas eu de perte de temps.
5- Tout retard expose à l'extension de la lésion tendino- périostée à l'os sous- jacent, à une souffrance huméro-radiale ou radio ulnaire organique, à des signes de déficit moteur du NIP radial dans les formes latérales ou du nerf ulnaire dans les formes médiales qui seront autant de facteurs péjoratifs qui compliquent le geste opératoire qui ne pourra entièrement régler la maladie régionale et qui peuvent conduire au reclassement professionnel ou à une baisse du niveau sportif ou simplement à l' impossibilité d'exercer des activités d'agrément.
6- surveiller et traiter préventivement le rachis cervical et la dysfonction articulaire de voisinage (avec infiltration huméro- radiale si besoin précédée par le test à la xylocaine) des populations à risque.
Nouvelles approches thérapeutiques médicales de la tendinopathie des épicondyliens
David Gasq du service d' Explorations Fonctionnelles Physiologiques au CHU Rangueil et Olivier  Ucay du service de Médecine Physique et Réadaptation, CHU Rangueil ont passé en revue les différentes thérapeutiques dans le traitement de la tendinopathie des épicondyliens:
1- La rééducation
Elle est largement utilisée dans la prise en charge de la tendinopathie épi- condylienne (TE). Les étirements des muscles épicondyliens, associés à des massages transverses profonds et à de la physiothérapie antalgique montre une efficacité modérée. Le travail musculaire excentrique a montré une efficacité à moyen terme (plus de 6 semaines) par rapport à une rééducation plus classique. Elle doit être associée à un arrêt des sollicita- tions tendineuses excessive pour apporter un bénéfice à la prise en charge. 
2- Les infiltrations de corticoïdes 
Elles sont efficaces à court terme (6 semaines). Leur indication est controversée en raison d’un fort pourcentage de récidive au delà de 3 mois, et d’un résultat à long terme inférieur aux étirements associés à un travail excentrique. Leur indication éventuelle reste limitée au début de la prise en charge afin de passer un cap douloureux, avant de pouvoir débuter la ré- éducation. 
3- La médecine manuelle-ostéopathie 
Les épicondylalgies latérales d’origine cervicale liées à un dysfonctionnement métamérique C5-C6 relèvent d'un traitement par manipulation vertébrale élective du segment cervical C5/C6, associées à des techniques manuelles articulaires locales sur le coude. 
4- Le Monoxyde d’azote 
L’application de patch de trinitrine en regard des épicondyliens permet un passage transcutané de métabolites se transformant en monoxyde d’azote ou NO au sein du tendon. Le NO entraine une activation des fibroblastes favorisant la synthèse de collagène. En parallèle d’une prise en charge ré- éducative (étirements et renforcement musculaire), l’application de patch de trinitrate de glycérine (1,25 mg/24 heures) durant 6 mois a montré une amélioration des douleurs dès la 2e semaine, avec une amélioration de la force musculaire à 3 mois. Un suivi à 5 ans montre que les patients présentent toujours des douleurs, mais très nettement diminuées par rapport à l’évaluation initiale. Ce traitement semble donc intéressant en association avec la rééducation pour potentialiser les effets à court et moyen terme, mais ne modifie pas l’évolution à long terme. 
5- Les ondes de choc (oDc) extra-corporelles
Ce sont des ondes acoustiques, focales ou radiales, appliquées en regard des structures à traiter. Leurs mécanismes d’action sont proches de ceux des massages transverses profonds : libération locale d’endorphines ou de substances inhibitrices de la douleur, inflammation locale avec accroissement de la vascularisation et des processus de réparation tissulaire. Les résultats de la littérature restent discordants. Ce traitement ne doit en tout cas jamais être proposé sans une prise en charge rééducative associée, et doit être appliqué dans des conditions optimales. Il s’agit probablement d’un traitement de dernier recours en l’absence de preuve suffisante d’efficacité. 
6- L’injection in situ de plasma riche en plaquettes (PRP) autologues 
L’injection in situ de plasma riche en plaquettes (PRP) autologues ou de sang total autologue se développe dans la prise en charge de la TE depuis une dizaine d’années. L’obtention du PRP s’effectue en centrifu- geant un prélèvement sanguin autologue. Il existe une libération de facteurs de croissance par les plaquettes, qui permettent de stimuler la prolifération cellulaire et de relancer les processus de cicatrisation. L’injection de sang autologue est plus simple en terme de procédure et repose sur le même concept. L’injection de PRP a montré une amélioration supérieure à une injection de corticoïdes, à court terme et jusqu’à 2 ans, en termes de diminution de la douleur et d’amélioration de la fonction, en présence de TE chroniques. L’injection de sang autologue a une efficacité supérieure à une injection de corticoïdes à 8 semaines pour certains, alors que d’autres montrent une absence d’efficacité par rapport à un placebo, entre 2 semaines et 6 mois. Au total, l’utilisation du PRP (et peut être du sang autologue) en association avec un programme rééducatif, semble intéressante en présence d’une TE résistante au traitement initial, avec des résultats encourageants à court, moyen et long terme. 
7- L’injection locale de gel d’acide hyaluronique 
C'est une nouvelle option thérapeutique dans la TE. Des études animales ont suggéré le rôle de l’acide hyaluronique sur l’amélioration de la cicatrisation tendineuse. Une étude randomisée et contrôlée a montré une amélioration significative de la douleur, de la force musculaire, de la fonction et des possibilités de reprise du sport très en faveur des injec- tions du gel d’acide hyaluronique, à 1 mois, 3mois et 1 an. L’utilisation des gels d’acide hya- luronique pourrait donc être une alternative thérapeutique intéressante étant donné des premiers résultats encourageants avec des effets secondaires limités. 


8- L’injection intramusculaire de toxine botulique A 
Ces injections dans les muscles extensor carpi radialis brevis (ECRB) et extensor digitorum communis (EDC) des 3e et 4e doigts essentiellement, se développe dans la prise en charge de la TE. La toxine botulique agit au niveau des plaques motrices en bloquant la libération d’acétylcholine, ce qui diminue les capacités contractiles du muscle, mais présente égale- ment des propriétés antalgiques propres. La parésie induite permettrait une décharge rela- tive du tendon des épicondyliens, suivi d’une remise en charge progressive au fur et a me- sure de la diminution des effets de la toxine. Le principal effet secondaire de ce traitement est la perte de force de serrage et la difficul- té d’extension des 3ème et 4ème doigts que présentent certains patients. L’injection de toxine botulique (30 à 40 unités Botox dans l’ECRB) semble aussi efficace qu’une prise en charge chirurgicale en cas de TE chronique résistante aux traitements médicaux, avec environ 30 % d’amélioration à 3 mois, 60 % à 6 mois, 80 % à 1 et 2 ans. L’injection de toxine botulique semble être un traitement efficace de la TE chronique résistante aux autres approches médicales, qui peut être proposée en alternative à la chirurgie.