mercredi 9 novembre 2016

Les douleurs projetées (rapportées et référées) avec 5 exemples pour faciliter leur compréhension

Les douleurs projetées sont des douleurs ressenties à distance de leur lieu d'origine et véritables pièges diagnostiques susceptibles d'échapper même aux meilleurs, si l'on n'a pas été spécialement formé. Au niveau international, l’accord ne semble pas fait sur la terminologie de ces douleurs cat l'on distingue en effet deux sortes de douleurs projetées: les douleurs rapportées et les douleurs référées. 
1- Les douleurs rapportées : 
Elles sont en rapport avec une structure nerveuse lésée et irradient dans le métamère de cette structure. Par exemple: la névralgie d’Arnold par compression du grand nerf d’Arnold dans sa traversée de la zone d’insertion du trapèze; la sciatique par compression disco radiculaire. 
Il faut toutefois distinguer deux sortes de douleurs rapportées: les douleurs par excès de nociception, habituellement d’origine inflammatoire, et les douleurs neuropathiques par souffrance véritable de la structure nerveuse. En clinique, une douleur rapportée se présente sous la forme:
- soit de douleurs aiguës, de localisation fixe, quasi permanentes, évoquant une origine inflammatoire (forme nociceptive).
- soit sous forme de douleurs fulgurantes, ou au contraire térébrantes, profondes, sourdes, pouvant s’accompagner de paresthésies, voire de signes de déficit neurologique dans le métamère considéré, évoquant une lésion neurologique (forme neuropathique).
2- Les douleurs référées: 


Elles correspondent à une souffrance tissulaire en provenance de la peau, d'un tendon, d'un muscle ou d'un ligament (et donc d'un viscère au sens large du terme dans la mesure ou toute structure corporelle est considérée comme un viscère). Les influx nociceptifs en provenance de ces tissus en souffrance, sont transmis par les structures nerveuses centripètes sans que ces dernières ne souffrent, à la corne postérieure de la moelle. L’origine de ces influx est mal interprétée par le cortex pariétal, qui ne possède une reconnaissance (somatotopie) précise que pour la peau, mais ne reconnaît que mal ou très peu les influx d’origine articulaires, musculaires et pratiquement pas les influx provenant des viscères. La corne postérieure de la moelle oriente alors ces différents influx viscéraux tissulaires vers un métamère qui ne correspond pas forcément au métamère du tissu lésé (ainsi la douleur de l’infarctus du myocarde est projetée sur la mâchoire et le bras, et non sur l’aire cardiaque elle-même). Cette douleur projetée est très souvent présente en pathologie vertébrale commune en particulier dans le DIM (dérangement intervertébral mineur) de Robert Maigne par souffrance du trépied fonctionnel de Junghans ( voir chapitre sur les Lombalgies +++ dans le blog ). 
Expérimentalement on peut même reproduire ce type de douleurs référées en injectant chez des sujets sains une solution irritante dans un muscle, une articulation inter apophysaire ou un ligament inter épineux qui va se traduire par une souffrance dans le métamère dont dépend le segment irrité expérimentalement en empruntant les voies de conduction nerveuses, sans que celles-ci soient pour autant le siège d’une pathologie propre. 
Cliniquement, la douleur référée est plutôt de type « brûlure », et se traduit à l’examen clinique par un syndrome métamérique d'origine vertébrale défini par R. Maigne, ou syndrome cellulo-téno-périosto-myalgique associant cellulalgies cutanées (douleurs localisées dans la peau au pincé-roulé), tendinalgies (douleurs siégeant dans les tendons à différencier des tendinopathies), périostalgies (douleurs osseuses) et cordons myalgiques musculaires dans le territoire métamérique en cause (un métamère est un territoire d'innervation motrice ou sensitive qui dépend d'une racine nerveuse rachidienne) . Toutefois si la douleur associée à un syndrome métamérique est bien référée, l'inverse n'est pas vrai et une douleur référée n’est pas obligatoirement l’expression d’une dysfonction vertébrale. 
Les douleurs rapportées et les douleurs référées peuvent aussi être associées +++ et c’est là que réside toute la difficulté de l’analyse clinique et tout l'art du praticien qui doit démêler cet écheveau. 
La compréhension pour un profane d'une douleur projetée n'étant pas évidente, voici quelques exemples de douleurs projetées, tirés de mon expérience de soignant: 
1er exemple 
Douleurs du poignet gauche évoluant défavorablement depuis une bonne année, chez un gamin d'une douzaine d'années, avec radiographies normales. Pas de notion de traumatisme du poignet, examen clinique articulaire et tendino-musculaire négatif; seuls signes positifs: une cellulalgie (douleurs provoquée au pincé-roulé de la peau) du bord cubital du poignet; présence d'un lasègue cervical qui reproduit la douleur du poignet lorsqu'on positionne le rachis cervical du gamin en inclinaison latérale du côté opposé au poignet; évaluation du poignet strictement normale.
Je demande à l'enfant si par hasard il ne jouait pas avant centre au football? et ce dernier me répond: comment avez vous deviné, je marque beaucoup de buts de la tête.  
L'examen de la colonne cervicale de l'enfant mettait en évidence des signes de dérangement intervertébral (DIM de Robert Maigne) occasionnés par les micro-traumatismes répétés liés aux frappes de la tête, entre C7 (7ème vertèbre cervicale) et T1 (1ère vertèbre dorsale) avec douleur projetée de type référée C8 sur le poignet. 
Des radios de la colonne cervicale ne mettaient en évidence qu'une certaine rigidité de la colonne cervicale basse sur une vue de profil. 
Comme recommandé par la SOFMMOO (société française de médecine manuelle-ostéopathie), les différentes manoeuvres posturales à visée vasculaire,  l'absence d'hyperlaxité globale et l'absence de contre indications techniques (3 directions libres) autorisent un traitement par manipulation vertébrale cervicale élective sur le segment C7/T1 en dérangement qui a fait entièrement disparaître la symptomatologie douloureuse du poignet (cet enfant avait fait le tour de tous les pédiatres d'une grande ville universitaire). 
2ème exemple 
Dame de 60 ans, agricultrice, consulte pour une violente douleur localisée dans le mollet droit qui évolue défavorablement depuis 6 mois, sans notion d'accident aigu traumatique du mollet. 
Elle se présente en consultation avec une ribambelle d'images: échographie et IRM du mollet qui ne montrent aucune lésion et en particulier pas de désinsertion musculo-aponévrotique du muscle Jumeau interne.
Examen clinique du mollet négatif. Signes positifs: présence d'une cellulalgie du mollet, modification du réflexe achilléen droit (hyporéflexie franche), signe de lasègue à 50°, montée sur pointe du pied droit déficitaire par rapport au mollet controlatéral gauche, examen du rachis lombo-sacré en faveur d'un dérangement L5/S1 (dernière vertèbre lombaire et 1ère vertèbre sacrée). 
Conclusion: douleur projetée rapportée (souffrance de la racine nerveuse) d'origine S1 droite (racine inférieure du sciatique) correspondant à une sciatique tronquée (partielle). 
NB: une douleur S1 rapportée peut aussi se projeter (être ressentie) dans l'arrière de la cuisse et être souvent confondue avec une tendinopathie des ischio-jambiers. 
Confirmation de l'hypothèse clinique par des radiographies: discopathie sévère L5/S1.
Devant une contre indication technique à un  traitement par manipulations vertébrales lombo-sacrées (règles de sécurité de Robert Maigne), traitement par infiltration d'Altim qui a fait entièrement disparaître la symptomatologie douloureuse du mollet et a rendu possible un mois après l'infiltration, le suivi ostéopathique nécessaire 3 fois par an pour éviter les récidives. 
3ème exemple
Dame de 50 ans, consulte pour des gonalgies droites sur gonarthrose débutante. A la fin de la consultation m'informe qu'elle va se fait opérer de la vésicule biliaire dans les jours qui suivent; une cholecystographie (imagerie qui opacifie la vésicule) a mis en évidence de gros calculs dans sa vésicule; elle souffre en sous costal droit depuis une bonne année. 
Je lui pose une seule question: aimez vous et mangez vous du chocolat sans restriction? elle répond par l'affirmative, adore ça, en mange tous les jours. 
Je lui demande la permission d''examiner son abdomen, découvre des taches rubis disséminées un peu partout (signes de stase bilière vésiculaire); pas de douleur provoquée à la palpation profonde de la vésicule (absence de signe de Murphy); présence d'une cellulalgie sous costale droite au palpé-roulé, présence à l'examen segmentaire du rachis dorsal d'un dérangement vertébral T6/T7 droit confirmé par des radiographies faîtes le jour même (séquelles de maladie de Scheuermann en T6-T7 et T7/T8). 
Conclusion : douleur projetée référée d'origine dorsale T6/T7 se projetant en sous costal droit. 
Traitement électif par manipulations vertébrales en déroulé dorsal du segment dorsal en dysfonction avec disparition immédiate de la douleur. 
Coup de fil à mon confrère chirurgien ( très étonné mais qui me fait l'amitié de ne pas mettre en doute mon diagnostic et qui convient qu'à la palpation, il n'y avait pas de grosse vésicule, ni d'ailleurs de douleur projetée dans l'omoplate à l'interrogatoire) pour annuler l'intervention. 
Suivi ostéopathique 3 fois par an. 10 ans après cette dame mange toujours du chocolat et des omelettes baveuses. 
4ème exemple
Dame de 38 ans, arrive en clopinant suite à une entorse bénigne de cheville que je diagnostique et soigne. M'informe qu'elle a été opérée d'un fibrome de l'utérus il y a 9 mois mais que les douleurs abdominales sont toujours présentes et aussi incapacitantes. Elle m'apprends qu'avant d'être opérée, elle souffrait de l'abdomen depuis 2 années, et que ses règles n'étaient pas particulièrement abondantes. Un gynéco a rattaché ces douleurs à un fibrome de l'utérus palpable à l'examen clinique, confirmé par une hystérographie (mais sans signes spécifiques des fibromes, en particulier pas de saignements ni de règles abondantes). 
Examen  de l'abdomen: cellulalgie abdominale au pincé-roulé T9/T10 gauche et T10/T11 droite. Examen du rachis: dérangements inter-vertébraux T9/T10 et T10/T11 sur le rachis. Radios: subnormales. Traitement par manipulations vertébrales dorsales électives sur la zone en dysfonction en dérotation à cheval en bout de table et en appui sternal. Disparition immédiate de la douleur abdominale. Suivi ostéo 3 fois par an. Ces douleurs ne sont plus jamais revenues avec un recul de 20 ans.
5ème et dernier exemple
Homme de 50 ans, vétérinaire chef d'un grand centre d'insémination, personnalité éminente de la région, des relations partout, véritable force de la nature, hyperactif.
A ressenti il y a 3 semaines, une douleur brutale sur l'aire précordiale gauche avec angoisse+++.
Hospitalisé en urgence dans le service de cardiologie du CHU et examiné sous toutes les coutures par la crème des cardiologues. Sorti au 16ème jour avec un traitement à visée coronaire,  des douleurs précordiales moins fortes mais toujours présentes et incapacitantes.
Examen cardiaque sans particularité, présence d'une cellulalgie antérieure sur l'aire précordiale et d'une cellulalgie postérieure gauche en bande, 4 travers de doigts en dessous de T5, présence d'un dérangement inter-vertébral dorsal T5/T6 gauche.
Radios: quelques petits signes de dorsarthrose sans particularité.
Traitement par manipulations vertébrales électives sur la zone en dérangement (techniques en Nelson et Déroulé dorsal). Soulagement immédiat. Rififi dans le service cardio hospitalier.
Conclusion:
Ces 5 exemples cliniques de douleurs projetées constituent pour les confrères non spécialisés, de véritables pièges, sources de retard ou d'erreurs diagnostiques, fortement préjudiciables pour celles et ceux qui en sont victimes. Des maux de tête, des vertiges, des nausées, de l'instabilité peuvent être d'origine vertébrale cervicale haute entre C1 et C3; des douleurs ressenties entre les omoplates, sur l'épaule, le coude, le poignet peuvent avoir une origine cervicale entre C4 et T1; des douleurs abdominales peuvent avoir une origine vertébrale dorsale entre T6 et T11; des pubalgies, des douleurs se projetant sur les faces antérieures, internes et postérieures de cuisse, peuvent être d'origine vertébrale entre T12 et S1; un mollet ou un tendon d'Achille douloureux peuvent être d'origine S1; une cheville instable avec entorses externes à répétition peut être d'origine vertébrale L5. Enfin la plupart des tendinopathies et des accidents musculo-aponévrotiques ont des épines irritatives d'origine vertébrale qu'il faut dépister, traiter et surveiller.