Le syndrome des loges musculaires de jambe ou syndrome chronique d'effort correspond à une ischémie musculaire au niveau d'une (la loge antéro-externe surtout), ou de plusieurs loges de la jambe, par augmentation des pressions tissulaires intra-compartimentales au delà d'un seuil critique de 30 mm de mercure (Hg) par inadéquation entre le volume musculaire et l'inextensibilité des parois de la loge. L'aponévrotomie chirurgicale est le traitement classique et de référence d'un syndrome de loge d'effort, l'injection de toxine botulinique A constitue pour l'équipe hospitalière strasbourgeoise (Vautravers et col) une bonne alternative à la chirurgie. Au fil du temps, d'autres solutions ne manqueront pas d'être proposées.
8 REMARQUES IMPORTANTES
1- Le syndrome de loge de jambe est avec les périostites tibiales, une des causes les plus fréquentes de douleurs jambières chez le sportif et plus spécialement chez les coureurs à pied de longues distances.
2- Le syndrome de loge survient en dehors de tout contexte traumatique (choc direct avec hématome, post fracture de jambe, post opératoire).
3- C'est une douleur d'effort qui cède à l'arrêt de cet effort en quelques minutes.
4- Pauvreté des signes cliniques (hernies musculaire, tension de la loge).
5- Des chiffres de pression tissulaire musculaire à l'effort supérieurs à 30 mm de Hg avec retour trop lent à la normale++ apportent la certitude diagnostique ( la pression normale étant de 6 mm de Hg).
6- En cas de doute à la prise de pression, la Scintigraphie est performante.
7- Le traitement chirurgical par aponévrotomie sans rapprochement cutané immédiat pour éviter toute récidive suivi d'une surveillance post opératoire reste encore la référence.
8- Le traitement médical par toxine botulinique A est une alternative à la chirurgie.
FORMES CLINIQUES
1- LA FORME AIGUE:
Rare mais toujours possible, est une véritable urgence chirurgicale qui se présente sous la forme d'une douleur aiguë et d'un oedème de jambe douloureux avec sensation d'étau, évoluant d'un seul tenant vers l'ischémie et ne cédant pas à l'arrêt de l'effort.
Elle correspondant à l''interruption de la perfusion artérielle, obligeant à une aponévrotomie en urgence si l'on veut éviter la nécrose musculaire et des lésions neurologiques définitives (catastrophiques sur le plan fonctionnel).
2- LA FORME CHRONIQUE:
Elle disparaît entre les efforts et réapparaît pour un effort identique est sans doute beaucoup plus fréquente que ce que l'on croit, mais elle n'est pas souvent diagnostiquée.
C'est pourtant cette forme chronique qui doit absolument être diagnostiquée et traitée préventivement.
L'obstruction de la micro circulation du tissu musculaire commence à 13 mm de Hg avec un seuil critique à 30 mm de Hg.
Cette élévation de la pression tissulaire dans une loge musculaire ne s'accompagne pas d'une modification de la circulation dans les gros troncs artériels ni de l'abolition des pouls distaux.
3- LA FORME dite de PASSAGE
C'est une forme intermédiaire à fort potentiel d'évolution vers la forme aiguë et doit être opérée sans tarder.
HISTORIQUE
1943: la 1ère description clinique par Vogt et Horn, en dehors de tout contexte traumatique, concerne la forme aiguë au décours d'une marche forcée chez un militaire.
1956: Mavor décrit la forme chronique chez un footballeur.
1962: l'explication physio-pathologique est donnée par French et Price, c'est l'augmentation de la pression dans une loge musculaire de jambe.
1974: Whitesides met au point un appareillage simple de mesure de la pression tissulaire.
1997: Le syndrome de loge chronique d'effort a fait l'objet d'une étude très complète par JF Kouvalchouk (CMC Foch de Suresnes).
RAPPEL ANATOMIQUE
Tous les muscles ou groupes musculaires de l'organisme, sont enfermés dans des loges ostéo-fibreuses dont les limites sont inextensibles. La jambe et ses 4 loges est la région anatomique la plus exposée.
1- la loge antérieure avec le jambier antérieur, l'extenseur propre du gros orteil, l'extenseur commun et le paquet vasculo-nerveux antérieur.
2- la loge externe des péroniers latéraux et son paquet vasculo-nerveux péronier.
3- la loge postérieure profonde avec le jambier postérieur, le fléchisseur propre du gros orteil et le fléchisseur commun des orteils et son paquet vasculo-nerveux tibial postérieur.
4- la loge postérieure superficielle du triceps sural sans paquet vasculo-nerveux.
NB: au membre supérieur, les loges antérieures superficielles et profondes de l'avant bras sont également très exposées.
EPIDEMIOLOGIE
1- forte prédominance masculine.
2- âge moyen de 25 ans (extrêmes de 15 à 45 ans).
3- les loges antérieures et externes de jambe représentent les 2/3 des cas.
4- le sport le plus exposé est:
- la course à pied
mais aussi les sports de combat et collectifs, le tennis, le culturisme
5- le vélo et la natation semblent être épargnés.
les nageurs et les cyclistes sont épargnés
6- motocyclisme et planche à voile, au niveau de la loge antérieure de l'avant bras.
FACTEURS FAVORISANTS
1- facteurs tissulaires individuels: aponévroses constitutionnellement résistantes; présence de faisceaux musculaires surnuméraires qui augmentent le volume musculaire à l'intérieur d'une loge.
2- facteurs tissulaires acquis: séquelles de contusions ou de lésions musculaires.
3- baisse du flux sanguin musculaire pendant les phases de contraction musculaire sans possibilité de rattrapage lors des phases de relâchement et variable suivant le type d'effort: marche forcée, course à pied de longue durée pour le syndrome de loge de jambe, compétition motocycliste ou de planche à voile pour celui à l'avant-bras.
5- acidose lactique locale lors d'efforts d'intensité élevé.
6- compression veineuse de la circulation de retour au niveau de l'anneau du Soléaire du creux poplité.
DIAGNOSTIC POSITIF
1- Le terrain prédisposant:
le syndrome de loge frappe le jeune sportif entre 20 et 30 ans et jamais l'enfant; la course à pied est en 1 ère ligne ( demi-fond, fond, cross, marathon); mais aussi le ski de fond
le culturisme (hypertrophie musculaire)
le patinage.
Une pratique inhabituelle (par exemple un changement de mode d'entraînement).
2- La douleur localisée dans une loge
Douleur à type de crampe, de contracture, de brûlure, de simple gène , de tension, d'engourdissement.
Elle est diffuse dans toute la loge, mais ne déborde pas ( aucune irradiation). Elle peut être bilatérale (50%), mais prédomine d'un côté.
Contrairement à la claudication artérielle classique, elle se prolonge à l'arrêt de l'effort et finit par disparaître.
Cette douleur s'apparente à une claudication d'effort intermittente qui débute après un temps d'effort (à partir d'un certain kilométrage) ou un certain niveau d'intensité et toujours le même (n'apparaît pas si la vitesse de course est réduite).
Elle est d'installation et d'aggravation progressive en quelques semaines ou quelques mois, entravant la pratique sportive.
Surtout elle est absente entre les exercices sportifs.
3- l'évaluation clinique de repos
Elle est d'une pauvreté absolue: négativité des signes vasculaires (palpation des axes artériels, auscultation vasculaire); négativité des signes neurologiques; négativité du testing musculo- tendineux et articulaire. Découverte parfois de hernies musculaires.
hernie musculaire
4-L'évaluation à l'effort est beaucoup plus performante surtout si l'on dispose d'un tapis roulant.
Sinon on demande au sportif d'effectuer un effort de course à pied ou de monter et descente d' escalier; ou d'effectuer pendant 4 mn au moins 150 dorsi-flexions de cheville (test de Charlopain), jusqu'à ressentir la douleur et la gène fonctionnelle habituelle.
5-l'examen clinique en post effort immédiat
Il s'avère alors beaucoup plus en faveur d'une hyper-pression dans une loge jambière: majoration des hernies musculaires quand elles existent; tension musculaire à la palpation; fatigabilité à la mobilisation répétée; douleurs à l'étirement passif; parfois perte de force ou troubles de la sensibilité.
A la palpation des pouls distaux, ces derniers sont toujours présents et symétriques.
DIAGNOSTIC DE CERTITUDE PAR LA PRISE DE PRESSION
Matériel.
La prise de pression des loges par appareil électronique de prise de pression miniaturisé (Stryker).
Appareil Striker = Chambre de mesure à usage unique.
On effectue une prise de pression bilatérale dans les loges musculaires suspectes, avant et après effort (course sur tapis).
Ce geste est douloureux mais en règle générale bien toléré.
DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
L'existence d'un terrain prédisposant: sujet jeune et sportif; douleur d'effort disparaissant en quelques minutes après arrêt ; examen clinique pauvre, doit faire éliminer 4 causes en priorité:
1- la périostite tibiale:
C'est une pathologie beaucoup plus fréquente (déjà traitée : se référer au sommaire) que l'on considère comme un état de pré-fracture de fatigue avec des signes d'allure pseudo tendineuse (stades de Blazina et triade symptomatique sur jambier postérieur et fléchisseurs des orteils).
2- la fracture de fatigue tibiale du 1/4 inférieur
La douleur évoque plus un syndrome de loge (claudication) qu'une périostite (allure pseudo tendineuse).
La Scintigraphie est parfois plus contributive que les radios (condensation de la trame osseuse).
3- le syndrome de l'artère poplitée piégée (SAPP)
Il correspond à une compression de l'artère par des formations musculo- aponévrotiques de voisinage ou par des structures surnuméraires (résidus embryologiques). Le syndrome de l'artère poplitée piégée se rencontre chez les cyclistes et les danseurs et plus à la marche qu'à la course par contraction du muscle jumeau interne.
Diagnostic clinique: abolition pouls distaux; certitude par l'écho-doppler.
4- le syndrome de compression du nerf péronier superficiel
La compression est à l'union 1/3 sup et 2/3 inf de jambe piégé par une hernie musculaire ou par le fascia musculaire ou après aponévrotomie par rétraction de l'aponévrose.
Examen: Tinel + ; hypoesthésies jambière externe; EMG.
Insertions proximales:
- le chef épiphysaire s'insère sur les épiphyses proximales tibiales et fibrillaires
- le chef postéro-inférieur et chef antéro-inférieur sur la face latérale des 2/3 supérieur de la fibula (ces deux derniers chefs naissent aussi des septa inter-musculaires cruraux ventral et dorsal, laissant un espace entre eux où passe le nerf fibulaire qui contourne la tête de la fibula.
Trajet:
Il descend obliquement sur la face externe de la jambe, se poursuit par une lame tendineuse puis par un tendon qui passe en arrière de la malléole latérale, coulisse dans une gaine ostéo-fibreuse sur la face latérale du calcanéum, puis se dirige vers la face plantaire du cuboïde du pied.
Terminaison:
Sur la tubérosité du premier métatarsien et envoie une expansion sur le cunéiforme médial.
Innervation:
Nerf fibulaire superficiel par l'intermédiaire de deux rameaux, l'un inférieur et l'autre supérieur.
Action: maintient la voûte plantaire et est fléchisseur plantaire du pied, mais il assure surtout l'éversion du pied. Il est antagoniste du muscle tibial antérieur.
2- Court fibulaire:
Tendu entre la face latérale de la fibula et le tubercule du 5ème métatarsien. Il est vertical jusqu'à la malléole latérale où il laisse son tendon se réfléchir vers l'avant. Il est innervé par le nerf fibrillaire superficiel. Il est éverseur du pied.
AUTRES DIAGNOSTICS POSSIBLES
- la pathologie ostéo-articulaire de jambe dégénérative , tumorale ou inflammatoire
- la pathologie ostéo-tendineuse de jambe
- la pathologie rachidienne projetée
- la pathologie vasculaire artério-veineuse (artérite, phlébite
TRAITEMENT CHIRURGICAL: APONEVROTOMIE
TRAITEMENT MEDICAL PAR INJECTION DE TOXINE BOTULINIQUE
La section de l'aponévrose (aponévrotomie) sans fermeture cutanée immédiate par voie chirurgicale reste le seul traitement radical.
Dans une étude menée entre 2006 et 2010, Cyril Blaes et l' équipe du service de médecine physique et réadaptation de l'hôpital Hautepierre du Pr Vautravers à Strasbourg, ont traités 23 hommes et deux femmes par injection de toxine botulique A avec une efficacité de dix mois en moyenne.
La quasi totalité des patients traités ne ressentaient plus de douleurs après traitement, alors que les patients ressentaient une douleur à l'effort depuis 31 mois en moyenne.
La douleur apparaissait au cours d' un exercice, obligeant le sportif à arrêter son activité, puis disparaissait en 10 à 15 minutes après l'arrêt.
Avant l'injection, le syndrome de loge d'effort antéro-externe a été confirmé par une mesure de la pression intramusculaire (PIM) après course à pied sur tapis roulant.
Chez ces 25 patients, les valeurs de la PIM, une minute après l'arrêt de l'effort étaient en moyenne dans les loges antérieures et latérales de respectivement 63,2 mmHg et 58 mmHg, puis 41,2 mmHg et 48 mmHg, cinq minutes après l'arrêt.
La toxine botulique A a été injectée dans chacun des muscles des loges pathologiques après repérage par stimulation électrique.
Seul 1 patient sur 25 a vu ses douleurs persister après le traitement.
Chez tous les autres sportifs, la douleur a disparu en moins d'un mois dans 68% des cas et entre un et cinq mois dans les autres cas.
Par ailleurs, le déficit musculaire modéré quasi constant disparaît entre un et cinq mois dans 94 % des cas.
Pour 84% des patients, la sensation d'instabilité modérée associée disparaît en moins de trois mois et n'empêcherait qu'exceptionnellement la reprise de la course à pied.
Trois mois après l'injection, les pressions intramusculaires se sont normalisées.
Elles étaient en moyenne de 21,4 et 19,7 mmHg dans les loges antérieures et latérales une minute après l'arrêt de l'effort, et de 14,5 et 9,9 mmHg, cinq minutes après.
Le traitement a toutefois une durée limitée d'efficacité évaluée à 10 mois en moyenne. Huit patients ont présenté une récidive des douleurs entre six et 30 mois.
"L'injection de toxine botulique A est un traitement efficace du Syndrome de loge de jambe, son délai d'action rapide et le peu d'effets indésirables en font une alternative à l'aponévrotomie" ont souligné les Strasbourgeois.