Le travail musculaire isocinétique est un travail à vitesse constante, la résistance exercée par un dynamomètre isocinétique s'auto-adaptant à la force développée par le patient. Il diffère du travail isotonique (dynamique) à charge constante et du travail isométrique (statique) à longueur constante.
Introduite en 1967 par Hislop et Perrine (à partir de travaux de la NASA d'évaluation de la perte de force après un vol cosmique) l'isocinétisme est fondé sur le principe du travail musculaire dynamique isocinétique assurant fiabilité et reproductibilité des tests.
L'évaluation isocinétique est devenue en médecine de rééducation un des moyens les plus performant en orthopédie, traumatologie et neurologie; dans le domaine de la médecine et de la traumatologie du sport l'évaluation isocinétique et le renforcement de la force musculaire maximale sont également des éléments essentiels de la prise en charge.
Les méthodes classiques de mesure de la force musculaire par le testing manuel qui fournit des informations peu précises et subjectives et les mesures de la force isométrique maximale gardent leur intérêt en clinique car elles permettent la mise en évidence en conditions statiques (adaptées à la traumatologie) des asymétries de force entre groupes musculaires homologues ou de déséquilibres entre groupes antagonistes.
Mais la plupart des gestes sportifs étant exécutés en mode dynamique, cette technique nouvelle de mesure et d’entraînement est en train de devenir le Gold standard de l'évaluation.
I- Le dynanomètre isocinétique est un appareil qui permet de programmer la vitesse de travail et adapte la résistance à l'effort déployé par le sujet.
Un sélecteur de vitesse agit par l’intermédiaire d'un frein électromécanique et contrôle la vitesse de déplacement du levier, quelle que soit l'action du sujet sur ce levier.
On parle de vitesse angulaire, car le mouvement se fait autour d'un axe de rotation.
Les vitesses permises varient, en fonction de la machine de 0° par seconde, à 400° par seconde. En adaptant des capteurs de pression, il devient possible de connaître la force développée en tout point du mouvement.
Un enregistreur graphique est couplé au système de mesure et autorise la lecture simultanée du moment de force développé et de la position angulaire au cours du mouvement.
Un matériel de traitement informatique assure l'analyse des résultats, leur visualisation par l'intermédiaire d'un écran, leur édition et leur stockage.
Tant que la vitesse demandée n'est pas atteinte, le dynamomètre n'oppose aucune résistance. Lorsque la vitesse est atteinte, la résistance s'auto-adapte à l'effort fourni afin que le patient puisse poursuivre l'exercice. Cela permet d'obtenir grâce à cette résistance auto adaptée, une contraction musculaire maximale à vitesse constante, sur l'amplitude totale d'un mouvement articulaire.
Cette adaptation en tout point de la résistance permet d'envisager un travail dynamique précoce en rééducation en limitant les contraintes dans les zones de souffrance articulaire.
Les dynamomètres isocinétiques sont devenus maintenant des outils quasiment indispensables d'évaluation musculaire et l'intérêt chez le sportif des mesures isocinétiques est d'autant plus intéressant qu’elles permettent de tester simultanément des groupes musculaires antagonistes (pour le genou Quadriceps et Ischio-jambiers). L'isocinétisme a des limites dans la réalisation d'un travail à grande vitesse car il existe un temps d'accélération permettant d'arriver à la vitesse de travail demandée et un temps de décélération finale. Plus la vitesse demandée est élevée, plus la partie réellement isocinétique du travail réalisé est faible et il sera difficile de réaliser des évaluations musculaires ou un programme de renforcement musculaire à des vitesses au delà de 300°/sec.
La réalisation d'un travail isocinétique n'est également possible qu'en l'absence de contre-indications:
- existence de douleurs et/ou d'une réaction inflammatoire
- raideur articulaire du fait de la notion de temps d'accélération et de décélération en début et fin de mouvement
- fracture non consolidée
- lésion musculaire, tendineuse et ligamentaire récente
- lésion cutanée évolutive.
II- Les données isocinétiques: exemple du genou.
Les paramètres isocinétiques fournis par le système isocinétique testant le genou apparaissent sous forme de graphiques et / ou sous forme de valeurs numériques.
Le tracé correspond au mouvement de flexion / extension du genou lors d'un test concentrique à la vitesse de 60° par seconde.
La courbe supérieure correspond au quadriceps et la courbe inférieure aux ischio-jambiers.
En abscisse l'angle de flexion du genou et en ordonnée le couple de force développé
(en Nm).
quadriceps ischio-jambiers
1- Le pic de couple de force est le moment de force le plus élevé au cours du mouvement isocinétique, il correspond au sommet de la courbe. Le couple de force peut être exprimé proportionnellement au poids corporel. Sa valeur, son délai d'apparition et l'angle auquel il est développé sont variables en fonction de la vitesse du mouvement, de l'âge, du sexe du sujet et du type d'activité pratiquée par celui-ci .
2- La position angulaire correspond à l'angle de flexion du genou et il permet de déterminer:
- l'angle auquel le muscle est le plus fort c'est-à-dire l'angle qui correspond au pic de couple de force (en théorie le Quadriceps est le plus fort à 60-65° de flexion du genou et les Ischio-jambiers à 30-35° de flexion).
- dans quel secteur angulaire un muscle est anormalement faible.
- dans quel arc un mouvement est douloureux, ce qui se traduit par une diminution anormale de force et un tracé irrégulier.
3- La puissance est un reflet intéressant de la réalité d'un mouvement puisqu'elle tient compte à la fois de la force développée et de la vitesse du mouvement.
C'est un paramètre important dans l'évaluation de la fonction musculaire de certains sportifs pour lesquels cette qualité est primordiale.
4- Le rapport de pic de couple entre groupes homologues: exemple, Quadriceps gauche et droit et d'exprimer les différences en pour-cent.
Il existe un haut degré de corrélation entre asymétrie de force musculaire pour des muscles homologues et risque traumatique pour le groupe musculaire le plus faible
(une asymétrie supérieure à 10 % est considérée comme pathologique).
5- Le rapport de pic de couple entre groupes antagoniste.
Ici rapport ischio-jambiers sur quadriceps.
Un déséquilibre du rapport ischio-jambiers sur quadriceps traduit la faiblesse d'un groupe par rapport à l'autre et compromet ainsi la stabilité du genou.
Un rapport ischio-jambiers / quadriceps abaissé favorise les lésions des muscles de la face postérieure de la cuisse (très significatif chez les sprinters en athlétisme, les footballeurs et les rugbymen chez qui les ischio-jambiers luttent par une contraction excentrique contre une extension rapide ou puissante du segment jambier).
6- La phase ascendante correspond au temps écoulé entre le début de la contraction et le pic de couple. Habituellement cette partie de courbe est convexe vers le haut.
7- La partie descendante de la courbe correspond est le reflet de la capacité du sujet à maintenir une contraction maximale jusqu'à la fin du mouvement.
Cette partie est convexe ou plate chez le sujet normal.
8- Les tests d'endurance ou tests de fatigue sont des tests qui cherchent à étudier la fatigue
musculaire objective (qu'on oppose à la fatigue musculaire subjective ressentie par le sujet, non mesurable), qui peut se rencontrer dans différentes situations pathologiques.
On demande au sujet de développer au cours d'un test de fatigue, sa force maximale volontaire avec des mouvements de même amplitude tout au long du test.
III- Aspects pathologiques des courbes
Dans les conditions normales, la courbe a grossièrement une forme parabolique. Son enveloppe est normalement lisse, un aspect crénelé traduit alors l’incapacité du sujet à maintenir une contraction maximale durant tout le mouvement.
1- Déficits de la courbe ascendante jusqu'au pic de courbe.
Ils se caractérisent par un aplatissement ou un aspect concave de la première partie de la courbe et témoignent d'une difficulté à produire rapidement en début de contraction musculaire, un pic de couple.
2- Déficits de la courbe descendante
Ils se traduisent soit par un aspect concave, soit par un aspect rectiligne de la 2e partie de la courbe. Ces modifications de la courbe traduisent habituellement l'incapacité du muscle à maintenir une contraction maximale durant tout le mouvement.
Ils témoignent habituellement d'une inhibition douloureuse de la contraction musculaire dans un secteur angulaire précis.
Pour le genou une dépression transitoire de la courbe vers 30-40° de flexion peut s'observer dans le cas d'un syndrome fémoro patellaire, d'une lésion méniscale, d'une ostéochondrite disséquante, d'une lésion du LCA.
IV- Isocinétisme et pratique sportive.
L'isocinétisme offre deux possibilités majeures :
1- la réalisation de bilans et de tests pour la plupart des articulations et le rachis
2- comme méthode d’entraînement de la force musculaire: .
1- intérêt préventif des bilans isocinétiques.
Les bilans isocinétiques sont indiqués dans un contexte de blessure afin de:
- quantifier l'importance de la lésion et une éventuelle atrophie musculaire occasionnée par l'inactivité ou l'immobilisation articulaire
- évaluer des déséquilibres entre groupes musculaires homologues et/ou antagonistes
- guider la rééducation
- déterminer le moment de la reprise sportive.
L’isocinétisme peut aussi s’avérer utile pour établir des profils musculaires selon la spécialité sportive en mettant en évidence l'idéal à atteindre et orienter l’entraînement afin d'obtenir l'équilibre musculaire optimum pour une spécialité sportive donnée. A ce sujet, mes confrères de Capbreton en prévention des claquages des muscles ischio-jambiers de la face postérieure de la cuisse recommandent que le ratio IJ en excentrique à 30°/ Quadriceps en concentrique à 240°, ne soit pas inférieur à 0,8.
2- L'évaluation musculaire isocinétique permet le suivi du sportif sain et du sportif blessé.
Elle doit tenir compte de la pesanteur, le poids du segment de membre est mesuré par la machine et intégré dans les résultats par le dynamomètre.
3- Les vitesses des tests
Il n'y a pas de consensus sur les vitesses des tests isocinétiques.
Chez le sportif il paraît cependant fondamental de connaître les capacités freinatrices d'un complexe musculo-tendineux et donc d'une évaluation musculaire excentrique à la vitesse la plus basse permettant d'atteindre le plateau de force excentrique maximale (90°/sec). Le nombre de répétitions demandé n'a pas besoin d'être élevé (5 à 6 répétitions suffisent).
En concentrique, 2 à 3 vitesses de test peuvent être proposées: une vitesse lente (60 ou 90°/sec), une vitesse rapide (180° ou 240°/sec) et une vitesse intermédiaire; le nombre de répétitions varie également: de 3 à 6 pour la vitesse lente, de 9 à 15 pour la vitesse rapide, et de 6 pour la vitesse intermédiaire.
Enfin, des tests de fatigabilité sont proposés:
- le premier consiste à noter la diminution du travail réalisé sur 50 répétitions à vitesse rapide, entre le premier tiers de l'exercice et le dernier tiers.
- le deuxième, mesure le temps ou le nombre de répétitions nécessaires pour obtenir une diminution de 50 % de la force maximale obtenue lors de la première répétition.
4- Les résultats
- le moment maximal, ou pic de couple, permet de connaître la force maximale développée à la vitesse de test réalisée.
Il permet un suivi du sportif dans le cadre de l'entraînement ou dans les suites d'une lésion.
On peut comparer l'articulation lésée par rapport à elle même ou au côté opposé.
- l'étude du travail réalisé, ou aire sous la courbe, est intéressante dans l'évaluation de la fatigabilité ou dans un suivi de rééducation.
- le temps nécessaire pour atteindre le pic de couple peut renseigner sur "l'explosivité" musculaire.
V- Isocinétisme en rééducation.
En rééducation, l'utilisation d'un dynamomètre isocinétique est un avantage en post traumatique pour le renforcement musculaire et le gain d'amplitude.
1- Isocinétisme et renforcement musculaire concentrique
Un travail à vitesse rapide permet de limiter les contraintes articulaires.
Avant de débuter un véritable travail de renforcement isocinétique, il est préférable de commencer par quelques répétitions à vitesse rapide car on ne provoque pas de déficit ni d'anomalie de courbe. Après cette phase indispensable de rodage articulaire, on peut proposer en fonction de la tolérance, un travail de renforcement musculaire isocinétique concentrique. L'objectif est de balayer un large spectre de vitesses de travail afin d'améliorer l'ensemble des qualités musculaires (force, puissance,vitesse).
Il est conseillé d'être progressif lors de l'introduction du travail dynamique isocinétique, de bien respecter l'absence de contre-indication et de le stopper en cas de réaction douloureuse.
2-Isocinétisme et renforcement musculaire excentrique de type Stanish dans les tendinopathies.
Il est préconisé, depuis les travaux de Stanisch dans le traitement des tendinopathies non rompues afin de reprogrammer le complexe musculo-tendineux dans sa fonction freinatrice.
3- Isocinétisme et gain d' amplitude.
Le travail de gain d'amplitude est particulièrement efficace quand la raideur articulaire a pour origine une rétraction ou une contracture musculaire et la survenue d'une douleur en position extrême. Ce travail doit respecter les contre indications du travail isocinétique.
Conclusion sur l'isocinétisme.
Les avantages de l'isocinétisme sont nombreux:
- la résistance adaptée instantanément assure efficacité (car la force développée est maximale sur l'amplitude totale du mouvement) et sécurité car des phénomènes de fatigue ou de douleur qui s'accompagnent d'une diminution de force développée voient la résistance diminuer simultanément.
- choix possible de vitesses proches des conditions de gestes sportifs.
- choix de l'amplitude du mouvement et possibilité de travailler sur un secteur angulaire limité.
- travail simultané des muscles antagonistes, ce qui permet d'éviter des déséquilibres sources de blessures musculaires et articulaires.
- possibilité de travailler la plupart des grosses articulations et le rachis.
- possibilité de travailler en mode excentrique, ce type de contraction musculaire permettant le développement des tensions les plus importantes et engendrant les gains de force les plus considérables.
Les intérêts de l'isocinétisme sont certains pour:
- quantifier l’importance d'une lésion chez un sportif.
- guider la rééducation et déterminer le moment le plus opportun de la reprise sportive; une reprise précoce combinée à la persistance d'anomalies de la fonction musculaire précipite la réapparition des blessures.
- réaliser un renforcement musculaire (efficacité, sécurité).
- juger les effets d'une période d’entraînement.
- établir des profils musculaires selon la spécialité sportive (ratio IJ/Q +++), ce qui permet d'orienter les entraînements et de prévenir les blessures.