2/ Sa définition
Par l'Association Internationale de Lutte contre la Douleur:
"La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite dans des termes évoquant une telle lésion."
3/ Bases physiologiques de la douleur
La connaissance du circuit de la douleur et des différentes modulations à la hausse ou à la baisse, a permis les avancées thérapeutiques actuelles et a validé l'ensemble des techniques de Médecine physique et de réadaptation que l'on utilise dans un service de rééducation avec un niveau de preuve de grade B.
Le circuit de la douleur comporte trois étapes
1ère étape périphérique tissulaire:
Elaboration au niveau des différents tissus à partir de récepteurs à la douleur spécifiques appelés nocicepteurs, les uns ayant des terminaisons libres sans myéline, les autres étant partiellement myélinisés. A partir de ces nocicepteurs, la transmission va se faire par deux types de fibres de petit calibre: les fibres C sans myéline pour la douleur lente, les fibres A delta pour la douleur rapide. Les deux types de nocicepteurs sont stimulés par une lésion tissulaire qui libère des médiateurs algogènes: prostaglandine, histamine, etc qu'on appelle "soupe inflammatoire".
2ème étape médullaire de convergence
Au niveau de la substance grise de la corne postérieure de la moelle épinière, les deux types de fibres de petit calibre véhiculant la douleur, ainsi que les fibres de gros calibre véhiculant la sensibilité discriminative et la sensibilité profonde proprioceptive (celle des articulations, des muscles et des tendons) et celle de la sensibilité viscérale vont converger dans des zones très voisines.
3ème étape corticale d'intégration
Elle se fait à partir des faisceaux ascendants: après avoir convergé au niveau de la corne postérieure de la moelle épinière, les différentes fibres véhiculant la douleur et les autres types de sensibilité vont diverger pour regagner le thalamus et se projeter dans le cortex sensitif du lobe pariétal pour les fibres A véhiculant la douleur rapide et pour les fibres de la sensibilité profonde proprioceptive et viscérale.
L'autre type de fibre véhiculant la douleur, les fibres C, vont se projeter différemment à partir du thalamus vers le système limbique, situé à la base du cerveau, autour du thalamus. C'est le circuit des émotions qui sont des réactions immédiates plus ou moins positives et capables de contrôle. Emotions positives quand il s'agit de plaisir, émotions négatives quand il s'agit d'agressivité ou de peur. Ce système limbique comprend aussi le circuit de la mémoire et celui de l'olfaction. Il est en relation également avec le système endocrine hypothalamo-hypophysaire. Au total, la douleur va être intégrée au niveau du cortex cérébral de manière duale:
- une composante sensori-discriminative qui se projette sur le cortex pariétal de la face externe du cerveau (S1 et S2 ) pour la douleur rapide et discriminative suivant une topographie imparfaite, dans la mesure où le tissu cutané est lui parfaitement bien représenté au niveau cortical, les autres tissus (musculaire, articulaire et tendineux) sont eux assez mal représentés, tandis que les viscères n'ont eux aucun type de représentation.
Ces douleurs viscérales au sens large du terme, se projetteront alors dans un territoire périphérique (métamère) à distance de la lésion et sous la forme clinique d' un syndrome cellulo-téno-périosto-myalgique lorsque l'origine sera une souffrance segmentaire intervertébrale .
- l'autre composante limbique et préfrontale se projette sur la face interne du cerveau au niveau du cortex cingulaire, responsable de l'intégration émotionnelle avec mémorisation et possibilité d'adaptation comportementale en fonction du vécu du sujet ou du contexte environnemental ( cela explique l'héroïsme des blessés de guerre, capables de sublimer leurs douleurs et d'accomplir des actes de bravoure incroyables).
4/ La modulation de la douleur
La modulation est la faculté qu'a l'organisme d'exacerber ou d'atténuer le phénomène douloureux. Cette modulation peut s'exercer aux trois étapes du circuit de la douleur:
a - modulation périphérique de la soupe inflammatoire tissulaire avec action favorable des thérapeutique anti-inflammatoires, non stéroïdiens (AINS), des infiltrations de corticoïde, de l'application de glace (cryothérapie).
Toutefois si on laisse l'inflammation s’installer durablement au niveau tissulaire, il va y avoir apparition de phénomènes d’hyperalgésie, d'allodynies, d'inflammation neurogène très caractéristiques de la douleur chronique que l'on peut potentiellement améliorer par la mésothérapie ou les infiltrations locales de Xylocaïne.
b - modulation médullaire au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière, par où converge la totalité des fibres de la sensibilité. La transmission douloureuse peut être bloquée par la stimulation des fibres de gros calibre alpha:
- par des courants électriques (TENS): cette neurostimulation alpha est très utilisée par les kinésithérapeutes pour atténuer les phénomènes douloureux, surtout pour les douleurs de type neuropathiques.
- Les massages, les manipulations vertébrales et l'activité physique en général ont également une action très favorable par stimulation des grosses fibres alpha qui vont bloquer également la douleur au niveau médullaire.
-Autres types de modulation médullaire : au niveau de la corne dorsale, il existe des récepteurs sensibles aux Opioïdes où se fixeront les antalgiques de niveau 2 (codéine, tramadol) et 3 (morphiniques) ainsi que les endorphines libérées par l'effort et produites par le système nerveux central.
c- Modulation supra médullaire
Inversement, il existe un système anti-opioïde qui va rendre inefficaces les antalgiques de niveau 2 et 3. Les systèmes anti-opioïdes sont activés en cas d'abus de morphinique ou dans les douleurs neuropathiques (inefficacité des antalgiques classiques dans ce type de douleur), la modulation s'exerçant à partir du tronc cérébral et du cortex frontal.
Le tronc cérébral est la partie du système nerveux située entre la moelle et le cortex cérébral. Il comprend de bas en haut: le bulbe rachidien qui fait suite à la moelle épinière, le pont de Varole et le mésencéphale ou pédoncule cérébral.
Au sein de ce tronc cérébral, il existe des formations nerveuses, comme la substance réticulée qui intervient dans la vigilance, d'où vont partir des fibres descendantes dont les médiateurs chimiques sont la noradrénaline et la sérotonine qui vont impacter la corne dorsale de la moelle épinière, modulant la douleur dans le sens favorable. Cela explique en thérapeutique, l'action des antidépresseurs tricycliques (Laroxyl, Anafranil) qui, par l’intermédiaire de la noradrénaline et de la sérotonine, vont traiter les douleurs de type neuropathique. Les tricycliques étant des médicaments que l'on utilise habituellement dans la dépression.
5/ Formes cliniques de la douleur
1- Douleur aigüe et douleur chronique
La douleur aigüe, inférieure à 3 mois est la douleur immédiate qui survient après une contusion tissulaire dont le traitement, s'il est bien conduit, doit aboutir à la guérison de la lésion tissulaire sans laisser de trace. Si l'inflammation tissulaire persiste au-delà de trois mois, elle devient chronique avec apparition au niveau tissulaire de phénomènes d'inflammation neurogènes, d'hyperalgésie, d'allodynies, de douleur spontanées qui vont être plus difficiles à traiter. Cette douleur chronique va retentir sur le vécu quotidien au niveau de l'appétit, du sommeil, de l'affectivité, sur le plan socioprofessionnel et familial. Elle va devenir alors la préoccupation dominante de l'individu. Et plus rien ne comptera pour lui, que sa douleur.
2 - Les douleurs par excès de nociception
Elles surviennent en cas de stimulus nociceptif prolongé ou de réaction inflammatoire.
3 - Les douleurs neuropathiques
Elles sont dues à des lésions du tissu nerveux et sont mises en évidence de manière simple par le questionnaire DN4.
4 - Autres types de douleurs
Les douleurs par irritation du système sympathique comme par exemple l'algodystrophie, la causalgie des moignons d'amputation. La douleur psychogène par désordre émotionnel sévère. La douleur sine materia (sans matière et encore mal connue mais bien réelle) comme la fibromyalgie.
Pour les médecins, le plus important est de savoir différencier une douleur commune de type mécanique qui est influencée par l'effort et calmée par le repos et qui correspond à la majorité des phénomènes douloureux, des douleurs symptomatiques d'affections organiques comme les cancers, les infections, les inflammations. Elles sont non influencées par le mouvement, volontiers nocturnes et il s'y associe des signes généraux comme la fièvre, l'amaigrissement, l'anorexie, la fatigue. Elles s'accompagnent de stigmates biologiques avec hausse de la VS et de la CRP.
Enfin, les douleurs projetées (ressenties à distance de la lésion) sont des pièges diagnostiques pour les médecins, dons la mesure où, nous l'avons vu, la somatotopie sensitive (représentation topographique de la douleur) n'est vraiment discriminante que pour le tissu cutané au niveau des dermatomes.
5 - Les douleurs projetées
Une douleur projetée est une douleur ressentie à distance de son lieu d'origine et véritable piège diagnostique; au niveau international, l’accord ne semble pas fait sur la terminologie. On distingue en effet deux sortes de douleurs projetées: les douleurs rapportées et les douleurs référées.
1- Les douleurs rapportées :
Elles sont en rapport avec une structure nerveuse lésée et irradient dans le métamère de cette structure. Par exemple: la névralgie d’Arnold par compression du grand nerf d’Arnold dans sa traversée de la zone d’insertion du trapèze; la sciatique par compression disco radiculaire.
Il faut toutefois distinguer deux sortes de douleurs rapportées: les douleurs par excès de nociception, habituellement d’origine inflammatoire, et les douleurs neuropathiques par souffrance véritable de la structure nerveuse. En clinique, une douleur rapportée se présente sous la forme:
- soit de douleurs aiguës, de localisation fixe, quasi permanentes, évoquant une origine inflammatoire (forme nociceptive).
- soit sous forme de douleurs fulgurantes, ou au contraire térébrantes, profondes, sourdes, pouvant s’accompagner de paresthésies, voire de signes de déficit neurologique dans le métamère considéré, évoquant une lésion neurologique (forme neuropathique).
2- Les douleurs référées:
Elles correspondent à une souffrance tissulaire en provenance de la peau, d'un tendon, d'un muscle ou d'un ligament (et donc d'un viscère au sens large du terme dans la mesure ou toute structure corporelle est considérée comme un viscère). Les influx nociceptifs en provenance de ces tissus en souffrance, sont transmis par les structures nerveuses centripètes sans que ces dernières ne souffrent, à la corne postérieure de la moelle. L’origine de ces influx est mal interprétée par le cortex pariétal, qui ne possède une reconnaissance (somatotopie) précise que pour la peau, mais ne reconnaît que mal ou très peu les influx d’origine articulaires, musculaires et pratiquement pas les influx provenant des viscères. La corne postérieure de la moelle oriente alors ces différents influx viscéraux tissulaires vers un métamère qui ne correspond pas forcément au métamère du tissu lésé (ainsi la douleur de l’infarctus du myocarde est projetée sur la mâchoire et le bras, et non sur l’aire cardiaque elle-même). Cette douleur projetée est très souvent présente en pathologie vertébrale commune en particulier dans le DIM (dérangement intervertébral mineur) de Robert Maigne par souffrance du trépied fonctionnel de Junghans ( voir chapitre sur les Lombalgies +++ dans le blog ).
Expérimentalement on peut même reproduire ce type de douleurs référées en injectant chez des sujets sains une solution irritante dans un muscle, une articulation inter apophysaire ou un ligament inter épineux qui va se traduire par une souffrance dans le métamère dont dépend le segment irrité expérimentalement en empruntant les voies de conduction nerveuses, sans que celles-ci soient pour autant le siège d’une pathologie propre.
Cliniquement, la douleur référée est plutôt de type « brûlure », et se traduit à l’examen clinique par un syndrome métamérique d'origine vertébrale défini par R. Maigne, ou syndrome cellulo-téno-périosto-myalgique associant cellulalgies cutanées (douleurs localisées dans la peau au pincé-roulé), tendinalgies (douleurs siégeant dans les tendons à différencier des tendinopathies), périostalgies (douleurs osseuses) et cordons myalgiques musculaires dans le territoire métamérique en cause (un métamère est un territoire d'innervation motrice ou sensitive qui dépend d'une racine nerveuse rachidienne) . Toutefois si la douleur associée à un syndrome métamérique est bien référée, l'inverse n'est pas vrai et une douleur référée n’est pas obligatoirement l’expression d’une dysfonction vertébrale.
Les douleurs rapportées et les douleurs référées peuvent aussi être associées +++ et c’est là que réside toute la difficulté de l’analyse clinique et tout l'art du praticien qui doit démêler cet écheveau.
6/Les échelles de la douleur
Il existe deux types d'échelle de la douleur :
Les échelles unidimensionnelles qui mesurent l'intensité, la plus connue est l'EVA, utilisable à partir de 5 ans mais aussi l'échelle numérique et l'échelle verbale simple quantifiée par des adjectifs : douleur absente, faible, modérée, intense, très intense. Attention à ne pas se faire piéger par les pics douloureux journaliers qui faussent la cotation de la douleur. L'objectif du traitement est de ramener la douleur à un niveau inférieur à 4, qu'un traitement antalgique simple de pallier 1 pourra parfaitement contrôler.
Les échelles multidimensionnelles
Ces échelles sont beaucoup plus complètes et prennent en compte la répercussion sur le plan affectif , sensoriel, dans les actes de la vie quotidienne et le milieu socio-professionnel. La plus connue est le Questionnaire de St Antoine.
Dans les services MPR, pour les lombalgies chroniques, on utilise les échelles de Québec et le DAQ (Doléances Au Quotidien) et un autre type d'échelle, le questionnaire DN4 très utilisé pour la détection des douleurs neuropathiques.
Si le score du patient est égal ou supérieur à 4/10, le test est positif (sensibilité à 82,9 % ; spécificité à 89,9 %)
7/Moyens antalgiques médicamenteux
1- Pyramide de l'antalgie antinociceptive :
- Pallier 1:
Douleurs légères à modérées, EVA inférieure ou égale à 4: on utilise le plus souvent le Paracétamol à la dose de 1g / 4 fois par jour chez l'adulte ou les AINS qui ont leur toxicité propre.
- Pallier 2:
Douleurs modérées à sévères avec EVA comprise entre 4 et 7.On donne des Opioïdes faibles 2A représentés par la seule Codéine.
Les Opioïdes moyens 2B sont représentés par le Tramadol qui peut être associé au Paracétamol.
- Pallier 3:
Douleurs sévères à intenses supérieures ou égales à 8. On utilise les Morphiniques ou Opioïdes forts qui ont de nombreux effets secondaires: accoutumance, constipation, dépression respiratoire, somnolence, bouche sèche, confusion mentale, nausées, vomissements.
2- Médicaments antineuropathiques
Dans la douleur neuropathique, on utilise soit les antidépresseurs tricycliques comme l'Anafranil et le Laroxyl à doses progressives et à moitié des doses antidépressives. On utilise également des anticonvulsivants comme le Neurontin (gabapentine) et le Lyrica (prégabaline) à doses progressivement croissantes. Ces médicaments antineuropathiques sont également dépresseurs respiratoires et leur association avec les opiacés doit être réfléchie et même contre indiquée en cas d'insuffisance respiratoire.
NB: le Rivotril longtemps prescrit et malgré son action intéressante sur le sommeil, n'est actuellement plus utilisé.
8- Place de la Médecine physique (MPR) avec ses différents moyens spécifiques dans la prise en charge de la douleur chronique
Dans un service de MPR, tous les acteurs de santé interviennent dans la prise en charge de la douleur chronique :
- les médecins pour le diagnostic de la forme clinique de la douleur et son traitement médicamenteux et également dons la coordination de l'équipe pluridisciplinaire.
- Les IDE et les aides-soignantes pour les soins au quotidien, l'hygiène du corps, etc...
- Les kinésithérapeutes par les agents physiques : thermiques (chaud et froid), Tens, électrothérapie, les massages, la balnéothérapie, les mobilisations, le renforcement musculaire.
application de TENS
- Les ergothérapeutes par les orthèses d'immobilisation , l'ergonomie rachidienne au sein des écoles du dos, la réadaptation professionnelle avec le port de charge progressif.
- Les moniteurs des Activités Physiques Adaptées pour le reconditionnement à l'effort central et périphérique ( Restauration fonctionnelle du rachis).
- Les psychomotriciens pour la proprioception, le schéma corporel, la coordination etc..
- Les psychologues sur la composante émotionnelle.
- Le service social sur le retentissement socio-professionnel.
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